Nous rappelons l'équation de Berreman, dont il a été brièvement question au chapitre II et nous établissons la relation entre les vecteurs de Berreman (b-vecteurs) et les vecteurs de Jones (j-vecteurs). Nous présentons aussi une manière simple et efficace pour passer d'un type de vecteurs à l'autre.
Comme on l'a vu au chapitre II, la solution des problèmes électromagnétiques dans les milieux stratifiés fait intervenir dans chaque milieu une équation de la forme $$\boldsymbol\Phi’(z)=i\dfrac{\omega}{c}\boldsymbol\Delta\boldsymbol\Phi(z) \tag 1$$ où $\boldsymbol\Phi$ est le vecteur à quatre composantes
$$\boldsymbol\Phi = \begin{bmatrix} \fff{E}_x & Z_0 \fff{H}_y & \fff{E}_y & Z_0 \fff{H}_x \end{bmatrix}^T. \tag 2$$ Pour un champ incident avec une dépendance en $x$ de la forme $e^{i k_x x}$ et qui ne dépend pas de $y$, dans un milieu anisotrope caractérisé par un tenseur de permittivité diélectrique relative $\boldsymbol{\eps'}$, la matrice $\boldsymbol\Delta$ est donnée par
$\boldsymbol\Delta = \begin{bmatrix} -\ka_x \dfrac{\eps'_{zx}}{\eps’_{zz}} & 1-\dfrac{\ka_x^2}{\eps’_{zz}} & -\ka_x \dfrac{\eps'_{zy}}{\eps’_{zz}} & 0 \\ \eps’_{xx}-\dfrac{\eps'_{xz}\eps'_{zx}}{\eps’_{zz}} & -\ka_x \dfrac{\eps'_{xz}}{\eps’_{zz}} & \eps’_{xy}-\dfrac{\eps'_{xz}\eps'_{zy}}{\eps’_{zz}} & 0 \\ 0 & 0 & 0 & -1 \\ \dfrac{\eps'_{yz}\eps'_{zx}}{\eps’_{zz}}- \eps'_{yx} & \ka_x \dfrac{\eps'_{yz}}{\eps’_{zz}} & \ka_x^2 -\eps’_{yy}+\dfrac{\eps'_{yz}\eps'_{zy}}{\eps’_{zz}} & 0 \end{bmatrix} \tag{3}$
où $\ka_x=ck_x/\omega$. L'équation (1) porte le nom d'équation de Berreman et nous donnerons au vecteur (2) le nom de vecteur de Berreman ou, en raccourci, de b-vecteur.
Pour résoudre l'équation (1), il faut supposer que la matrice $\boldsymbol\Delta$ possède quatre vecteurs propres linéairement indépendants que nous noterons $$|~1 \gt, \dots, |~4 \gt,$$ les valeurs propres correspondantes étant $$\zeta_1, \dots, \zeta_4.$$ Nous désignerons par $\mat M$ la matrice qui a les vecteurs
propres $|~i \gt$ comme colonnes : on a vu que la solution de l'équation (1) soumise à la condition initiale $$\boldsymbol\Phi(z_0) = \boldsymbol\Phi_0$$ est alors $$\boldsymbol\Phi(z) = \exp \left(i \frac \omega c \boldsymbol\Delta (z-z_0) \right) \boldsymbol\Phi_0,$$ où l'exponentielle $\exp \left(i \frac \omega c \boldsymbol\Delta (z-z_0) \right)$ est définie par la formule $$e^{i \frac \omega c \boldsymbol\Delta z} = \mat M \diag \left(e^{i \frac \omega c \zeta_1 z}, \ldots ,e^{i \frac \omega c \zeta_4 z}\right) \mat M^{-1}.$$
Les vecteurs propres de la matrice $\Delta$ jouent un rôle très important dans la suite et nous leur apporterons une attention toute particulière.
Indice | Type |
---|---|
1 | p + |
2 | p - |
3 | s + |
4 | s - |
Dans les milieux isotropes, nous adopterons pour la numérotations des vecteurs propres la convention indiquée dans le tableau à gauche. On aura donc $$\begin{array} {l} |~1 \gt = \begin{bmatrix}\zeta/n & n & 0 & 0\end{bmatrix}^T, \\ |~2 \gt = \begin{bmatrix}-\zeta/n & n & 0 & 0\end{bmatrix}^T, \\ |~3 \gt = \begin{bmatrix}0 & 0 & 1 & -\zeta\end{bmatrix}^T, \\ |~4 \gt = \begin{bmatrix}0 & 0 & 1 & \zeta\end{bmatrix}^T, \end{array}$$ où $$\begin{array} {ll} \zeta = \sqrt{\eps'-\ka_x^2}, & n = \sqrt{\eps'}, \end{array}$$ les arguments des racines étant choisis pour être entre $0$ et $\pi/2$.
Les choses sont plus complexes pour les milieux anisotropes, pour lesquels les vecteurs et valeurs propres sont déterminés numériquement. On s'attend cependant à avoir deux vecteurs propres de type + (se propageant dans le sens des $z$ croissants) et deux vecteurs propres de type - (se propageant dans le sens des $z$ décroissants). Pour être consistants, nous donnerons aux premiers les indices 1 et 3 et aux seconds les indices 2 et 4.
Remarque. Lorsqu'une valeur propre a une partie imaginaire non nulle, il est facile de déterminer le sens de propagation du vecteur propre correspondant : $|~k \gt$ est un vecteur propre de type + si $\im (\omega\zeta_k) \gt 0$, un vecteur propre de type - si $\im (\omega\zeta_k) \lt 0$.
Les choses sont un peu plus compliquées quand une valeur propre est réelle, puisque l'énergie se propage en général dans une direction qui n'est pas parallèle au vecteur d'onde. Dans ce cas, le critère à utiliser est le signe de la composante $z$ du vecteur de Poynting et non le signe de la valeur propre.
Notons que n'importe quel b-vecteur $$\boldsymbol\Phi = c_1|~1 \gt+c_2|~2 \gt+c_3|~3 \gt+c_4|~4 \gt$$ se décompose de manière unique en un b-vecteur de type + $$\boldsymbol\Phi_+ = c_1|~1 \gt+c_3|~3 \gt$$ et un b-vecteur de type - $$\boldsymbol\Phi_- = c_2|~2 \gt+c_4|~4 \gt.$$ Dans un milieux isotrope transparent, où on peut écrire $\zeta = n\cos\theta$ et $\ka_x = n\sin\theta$, les champs $\boldsymbol\Phi_\pm$ correspondent à des ondes planes $\mat E_\pm $, de vecteurs d'onde $$\begin{array} {ll} \mat{k}_\pm = (n\omega/c)\mat{\hat k}_\pm , & \mat{\hat k}_\pm = \begin{bmatrix}\sin\theta & 0 & \pm\cos\theta\end{bmatrix}^T, \end{array}$$ auxquelles nous voulons associer des vecteurs de Jones.
Pour ce faire, définissons les vecteurs unitaires $$\begin{array} {ll} \mat{\hat p}_\pm = \begin{bmatrix}\pm\cos\theta & 0 & -\sin\theta\end{bmatrix}^T, & \mat{\hat s}_\pm = \begin{bmatrix}0 & 1 & 0\end{bmatrix}^T \end{array}.$$ qui, avec $\mat{\hat k}_\pm$, forment les bases de deux trièdres rectangles directs. Dans ce milieu isotrope transparent, on pourra donc écrire
$$\begin{array} {ll} \mat E_+ = E_p^{(+)}\mat{\hat p}_++E_s^{(+)}\mat{\hat s}_+, & \mat E_- = E_p^{(-)}\mat{\hat p}_-+E_s^{(-)}\mat{\hat s}_- \end{array}$$ et associer au b-vecteur $\boldsymbol\Phi$ deux vecteurs de Jones (qu'on appellera aussi des j-vecteurs) $$\begin{array} {ll} \boldsymbol\phi_+ = \begin{bmatrix}E_p^{(+)} & E_s^{(+)}\end{bmatrix}^T, & \boldsymbol\phi_- = \begin{bmatrix}E_p^{(-)} & E_s^{(-)}\end{bmatrix}^T \end{array}.$$
On peut montrer qu'avec la normalisation choisie plus haut, on a tout simplement $$\begin{array} {llll} E_p^{(+)}=c_1, & E_s^{(+)}=c_3, & E_p^{(-)}=c_2, & E_s^{(-)}=c_4, \end{array}$$ ce qui rend particulièrement facile à utiliser la correspondance entre un b-vecteur et la paire de j-vecteurs.
Cette correspondance entre le b-vecteur $$\boldsymbol\Phi = c_1|~1 \gt+c_2|~2 \gt+c_3|~3 \gt+c_4|~4 \gt$$ et les deux j-vecteurs $$\begin{array} {ll} \boldsymbol\phi_+ = \begin{bmatrix}c_1 & c_3\end{bmatrix}^T, & \boldsymbol\phi_- = \begin{bmatrix}c_2 & c_4\end{bmatrix}^T \end{array},$$ peut être étendue à tous les types de milieux, même si, dans les milieux qui ne sont pas isotropes et transparents, les j-vecteurs en question ne sont pas des vecteurs de Jones à proprement parler.
Il est souhaitable d'utiliser simultanément les b-vecteurs et les j-vecteurs, chaque type ayant ses avantages et ses inconvénients :
On veut donc développer une méthode de calcul qui permette de passer facilement d'un type de vecteurs à l'autre. Comme les b-vecteurs sont de dimension 4 et les j-vecteurs de dimension 2, cette méthode va faire intervenir des matrices rectangulaires 2×4 et 4×2.
Matrices $\kk\pm$ : Les matrices $\kk+$ et $\kk-$ sont deux matrices 4×2. La première a pour colonnes les vecteurs propres $|~1 \gt$ et $|~3 \gt$, la deuxième a pour colonnes les vecteurs propres $|~2 \gt$ et $|~4 \gt$. Si $$\boldsymbol\Phi = c_1|~1 \gt+c_2|~2 \gt+c_3|~3 \gt+c_4|~4 \gt$$ on aura $$\boldsymbol\Phi = \kk+ \boldsymbol\phi_+ + \kk- \boldsymbol\phi_- \tag {5}$$ où $$\begin{array} {ll} \boldsymbol\phi_+ = \begin{bmatrix}c_1 & c_3\end{bmatrix}^T, & \boldsymbol\phi_- = \begin{bmatrix}c_2 & c_4\end{bmatrix}^T. \end{array}$$
Matrices $\bb\pm$ : Les matrices $\bb+$ et $\bb-$ sont deux matrices 2×4 qui ont la propriété suivante : si
$$\boldsymbol\Phi = c_1|~1 \gt+c_2|~2 \gt+c_3|~3 \gt+c_4|~4 \gt$$ et si $$\begin{array} {ll} \boldsymbol\phi_+ = \bb+ \boldsymbol\Phi, & \boldsymbol\phi_- = \bb- \boldsymbol\Phi, \end{array} \tag {6}$$ alors $$\begin{array} {ll} \boldsymbol\phi_+ = \begin{bmatrix}c_1 & c_3\end{bmatrix}^T, & \boldsymbol\phi_- = \begin{bmatrix}c_2 & c_4\end{bmatrix}^T \end{array}.$$
Pour construire les matrices $\bb\pm$, il faut inverser la matrice $\mat M$ qui a les vecteurs propres $|~j \gt$ comme colonnes : les lignes $\lt i~|$ de la matrice $\mat M^{-1}$ satisfont $$\lt i~|~j \gt = \delta_{ij}.$$ On vérifie que si on prend pour $\bb+$ la matrice qui a $\lt 1~|$ et $\lt 3~|$ comme lignes et pour $\bb-$ la matrice qui a $\lt 2~|$ et $\lt 4~|$ comme lignes, les deux matrices auront bien les propriétés voulues.
Autres propriétés : On vérifie facilement que les matrices $\kk\pm$ et $\bb\pm$ ont les propriétés suivantes : $$\begin{array} {ll} \pp\pm\pm = \mat I, & \pp\pm\mp = 0 \end{array} \tag {7}$$ où $\mat I$ est la matrice identité 2×2 et $$\parallel\mkern 2mu + \mkern 2mu\gg \ll\mkern 2mu + \mkern 2mu\parallel + \parallel\mkern 2mu - \mkern 2mu\gg \ll\mkern 2mu - \mkern 2mu\parallel= \mat I \tag {8}$$ où cette fois $\mat I$ est la matrice identité 4×4.
Une fois l'équation de Berreman résolue, on peut, si on le désire, calculer les composantes $z$ des champs en utilisant les formules $$\begin{array} {ll} \fff{E}_z = \dfrac{-1}{\eps'_{zz}}\left(\ka_x Z_0 \fff{H}_y +\eps'_{zx}\fff{E}_x+\eps'_{zy}\fff{E}_y\right) , & Z_0 \fff{H}_z = \ka_x \fff{E}_y. \end{array} \tag 9$$
Dans un miieu isotrope, on aura $$\begin{array} {lll} \parallel\mkern 2mu \pm \mkern 2mu\gg = \begin{bmatrix} \pm \zeta/n & n & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & \mp \zeta \end{bmatrix}^T & \text{et} & \ll\mkern 2mu \pm \mkern 2mu\parallel = \dfrac{1}{2}\begin{bmatrix} \pm n/\zeta & 1/n & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & \mp 1/\zeta \end{bmatrix}. \end{array} \tag {10}$$
Si en plus le milieu est transparent (comme le milieu entrant), on peut remplacer $\zeta$ par $n\cos\theta$, ce qui donne $$\begin{array} {lll} \parallel\mkern 2mu \pm \mkern 2mu\gg = \begin{bmatrix} \pm \cos\theta & n & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & \mp n\cos\theta \end{bmatrix}^T & \text{et} & \ll\mkern 2mu \pm \mkern 2mu\parallel = \dfrac{1}{2}\begin{bmatrix} \pm 1/\cos\theta & 1/n & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & \mp 1/(n\cos\theta) \end{bmatrix}. \end{array} \tag {11}$$