Voici des modèles simples qui peuvent aider à mieux comprendre la permittivité diélectrique et la conductivité.
Imaginons un milieu formé de molécules non polaires. Lorsqu’on applique un champ électrique $\vec{E}$, chacun des électrons d’une molécule donnée se déplace de sa position d’équilibre, créant un dipôle électrique. Si on désigne par $\boldsymbol\xi_j$ le déplacement du jème électron de la molécule, le dipôle induit sera $$\vec{p} = \sum_j e\boldsymbol\xi_j$$ où $e$ est la charge de l’électron¹.
Nous poserons les hypothèses que
Nous supposerons donc que le mouvement de chaque électron est régi par l’équation simple suivante : $$m\ddot{\boldsymbol{\xi}}_j+\gamma_j \dot{\boldsymbol{\xi}}_j+k_j\boldsymbol{\xi}_j=e\vec{E}$$ où $m$ est la masse de l’électron et où $\gamma_j \lt 4 k_j m$.
Les équations de mouvement peuvent être résolues par la méthode de variation des paramètres : si on pose $$\omega_j = \sqrt{\dfrac{k_j}{m}},~~\Gamma_j = \dfrac{\gamma_j}{m}~~\text{et}~~\Omega_j = \sqrt{\omega_j^2-\frac{1}{4}\Gamma_j^2},$$
les solutions sont de la forme $$\boldsymbol{\xi}_j(t) =\dfrac{e}{m}\int_{-\infty}^t e^{-\frac{1}{2}\Gamma_j(t-\tau)}\dfrac{\sin(\Omega_j (t-\tau))}{\Omega_j}\vec{E}(\vec{x},\tau)~\dif \tau.$$ On aura donc $$\vec{p}(t) = \dfrac{e^2}{m} \sum_j \int_{-\infty}^{-\infty} f_j(t-\tau)\vec{E}(\vec{x},\tau)~\dif \tau$$ avec $$f_j(t)=e^{-\frac{1}{2}\Gamma_jt}\dfrac{\sin(\Omega_j t)}{\Omega_j} H(t).$$ En prenant la transformée de Fourier, on obtient $$\fvec{p}(\omega) = \alpha(\omega) \fvec{E}(\vec{x},\omega)$$ où la polarisabilité moléculaire $\alpha$ est donnée par la formule $$\begin{split}\alpha(\omega) & = \dfrac{e^2}{m} \sum_j \sqrt{2\pi} \tilde{f}_j(\omega) \\ & = \dfrac{e^2}{m} \sum_j \dfrac{1}{\omega_j^2-\omega^2 - i \Gamma_j \omega} \\ & = \dfrac{e^2}{m} \sum_j \dfrac{\omega_j^2-\omega^2+i\Gamma_j \omega}{\left( \omega_j^2-\omega^2 \right)^2 + \Gamma_j^2 \omega^2}. \end{split}$$
¹ On peut aussi tenir compte du déplacement des ions. Le formalisme est similaire.
Il reste à établir la relation entre la polarisabilité moléculaire $\alpha$ et la permittivité diélectrique $\eps$ (ou encore la permittivité diélectrique relative $\eps’$ définie par $\eps = \eps_0\eps’$).
Désignons par $\vec{E}$ le champ électrique macroscopique dans un matériau. Il s'agit en fait d'un champ « moyen » et on peut montrer que le champ auquel est soumis chacune des molécules est un champ différent qui porte le nom de champ local. À la limite où la distance intermoléculaire est négligeable devant les longueurs d’onde impliquées, on peut montrer que ce champ local est donné, dans le cas isotrope, par l’expression $$\vec{E}_{loc}=\vec{E}+\dfrac{1}{3\eps_0}\vec{P}.$$
En passant à la transformée de Fourier, on aura donc pour chaque molécule $$\fvec{p}= \alpha \fvec{E}_{loc}= \alpha \left( \fvec{E}+\dfrac{1}{3\eps_0}\fvec{P} \right).$$ S’il y a $N_p$ molécules par unité de volume, cela donne
$$\fvec{P}= N_p\fvec{p}= N_p \alpha \left( \fvec{E}+\dfrac{1}{3\eps_0}\fvec{P} \right).$$ En résolvant par rapport à $\fvec{P}$, on obtient la relation $$\begin{array} {ll} \fvec{P}= \eps_0 \chi \fvec{E}, & \chi = \dfrac{3 N_p \alpha}{3 \eps_0 - N_p \alpha} \end{array}$$ où $\chi$ s'appelle la susceptibilité électrique. Puisque $$\fvec{D} = \eps \fvec{E} = \eps_0 \fvec{E}+\fvec{P} = \eps_0(1+\chi) \fvec{E},$$ on obtient finalement $$\eps’ = \dfrac{\eps}{\eps_0} = 1+\chi = \dfrac{3 \eps_0+ 2N_p \alpha}{3 \eps_0-N_p \alpha}.$$
On peut aussi isoler $N_p\alpha$ pour obtenir la relation de Clausius-Mossotti² : $$\dfrac{N_p \alpha}{3 \eps_0} = \dfrac{\eps - \eps_0}{\eps +2 \eps_0} = \dfrac{\eps’ - 1}{\eps’ +2 }.$$
² Lorsqu’on remplace $\eps’$ par le carré de l’indice de réfraction, cette relation est connue sous le nom de relation de Lorentz-Lorenz.
Le traitement suivant de la conductivité est moins élaboré que celui de la permittivité diélectrique : on suppose que le mouvement de chaque électron de conduction est régi par la formule $$m\dot{\vec{v}}+\gamma\vec{v}=e\vec{E}$$ où $\gamma$ est une constante de freinage qui tient compte des collisions. En passant à la transformée de Fourier, on obtient $$-i m\omega \fvec{v}+\gamma\fvec{v}=e\fvec{E}.$$
S'il y a $N_c$ électrons de conduction par unité de volume, on aura donc $$\fvec{J}= N_ce\fvec{v} = \dfrac{N_ce^2}{\gamma-i \omega m} \fvec{E}.$$ Cela conduit à la formule $$\sigma(\omega) = \dfrac{N_ce^2}{m(\Gamma-i \omega)} = \dfrac{N_ce^2}{m}\dfrac{\Gamma+ i \omega}{\Gamma^2+ \omega^2}$$ pour la conductivité, où on a posé $\Gamma=\gamma/m$.
Pour la polarisabilité moléculaire, je me suis inspiré de l’exposition dans L. Rosenfeld. Theory of Electrons. Dover Publications, Inc. 1965. Pour ce qui est du champ local, il suffit de googler « champ local de Lorentz ». Ce ne sont pas les références qui manquent sur le web (idem pour les relations de Clausius-Mossotti et de Lorentz-Lorenz).
Le traitement de la conductivité a été emprunté à Jackson (voir p. 1). Bien que ce traitement soit sensiblement plus élémentaire, l'auteur affirme qu'il donne des résultats en bon accord qualitatif avec l'expérience.