$\renewcommand{\vec}[1]{\mathbf{#1}}$ $\newcommand{\fvec}[1]{\tilde{\vec{#1}}}$ $\newcommand{\ffvec}[1]{\check{\vec{#1}}}$ $\newcommand{\fffvec}[1]{\check{\tilde{\vec{#1}}}}$ $\newcommand{\f}[1]{\tilde{#1}}$ $\newcommand{\ff}[1]{\check{#1}}$ $\newcommand{\fff}[1]{\check{\tilde{#1}}}$ $\newcommand{\reels}{\mathbb{R}}$ $\newcommand{\dif}{\mathrm{d}}$ $\newcommand{\eps}{\varepsilon}$ $\newcommand{\ka}{\kappa}$ $\newcommand{\xy}{\mathbin{/\mkern-4mu/}}$

Champs électromagnétiques dans les milieux stratifiés isotropes

1. Position du problème

Dans le chapitre précédent, on a vu que (sauf pour les champs statiques) résoudre les équations de Maxwell-Lorentz dans les milieux linéaires non magnétiques et isotropes revenait à résoudre les deux équations

$\begin{array} {ll} \nabla \times \fvec{H} + i\omega \eps \fvec{E} = \fvec{J} & \nabla \times \fvec{E}-i \omega \fvec{B} =0 \end{array}$

avec la loi de conservation de la charge, puisque les deux autres équation étaient automatiquement satisfaites.

Nous voulons maintenant résoudre ces équations dans le cas particulier de milieux stratifiés, c’est-à-dire de milieux où la permittivité diélectrique $\eps$ varie seulement dans une direction. On supposera qu’il s’agit de la direction $z$. Plus spécifiquement,

Un empilement de couches minces.

nous considérerons un empilement de couches minces homogènes, bor­dées par deux milieux semi-infinis, eux aussi homo­gènes, comme dans la figure de droite. Dans cette situation, les interfaces entre les différentes couches seront des plans parallèles au plan $xy$, d’équations $z=z_i~(0 \le i \le n)$.

Nous allons tirer avantage du fait que $\eps$ ne dépend ni de $x$ ni de $y$ et prendre la transformée de Fourier des équations de Maxwell-Lorentz par rapport à ces deux variables.

2. Transformation de Fourier

Pour les variables spatiales $x$ et $y$, nous allons faire l’inverse de ce qu’on a fait pour le temps $t$ au chapitre I, et utiliser $\mathcal{F}_-$ pour la transformée directe et $\mathcal{F}_+$ pour la transformée inverse. Comme on prend la transformée par rapport aux deux variables simultanément, on aura pour une fonction $\varphi(x, y) \in \mathcal{S}$ $$\ff{\varphi}(k_x, k_y) = \dfrac{1}{2 \pi}\int_{-\infty}^{\infty}\int_{-\infty}^{\infty} \varphi(x, y)e^{-i (k_xx+k_yy)}~\dif x \dif y.$$ La formule pour la transformation inverse est $$\varphi(x, y) = \dfrac{1}{2 \pi }\int_{-\infty}^{\infty}\int_{-\infty}^{\infty} \ff{\varphi}(k_x, k_y)e^{i (k_xx+k_yy)}~\dif k_x \dif k_ y.$$ Comme dans le cas précédent, on peut alors étendre la définition aux distributions de $\mathcal{S’}$. Les propriétés sont les mêmes que celles vues au chapitre I, sauf pour quelques variations dues au changement de signe dans l’exposant. Pour les dérivées partielles, par exemple, on aura les correspondances $$\begin{array} {ll}&\dfrac{\partial } {\partial x} \varphi(x, y)\rightarrow ik_x \ff{\varphi}(k_x, k_y) &\dfrac{\partial}{\partial y} \varphi(x, y)\rightarrow ik_y \ff{\varphi}(k_x, k_y). \end{array}$$

Les deux choses suivantes sont à noter :

  1. Nous avons utilisé un symbole différent (un accent circonflexe inversé) pour distinguer cette transformation de la transformation de Fourier par rapport au temps (pour laquelle nous avons utilisé un tilde) ;
  2. Si on prend successivement la transformée de Fourier d’un champ (comme le champ électrique) par rapport au temps puis par rapport aux variables $x$ et $y$, cela revient à le décomposer ce champ en une superposition de composantes de la forme $$\dfrac{1}{\sqrt{2}~\pi^{3/2}}\text{Re} \left[\fffvec{E}(k_x, k_y, z, \omega)e^{i (k_xx+k_yy-\omega t)}\right].$$ (On a pris l’exemple du champ électrique, mais c eci est bien sûr aussi valide pour les autres entités physiques.)

3. Équations de Maxwell-Lorentz

Avant d’aller plus loin, nous devons travailler un peu sur les équations de Maxwell-Lorentz pour les rendre plus faciles à résoudre. Tout d’abord, dans la première, nous allons remplacer $\eps$ par $\eps_0 \eps’$ où $\eps’$ est la permittivité diélectrique relative. Ensuite, nous allons multiplier cette même équation par $Z_0 = \mu_0 c$ (quantité connue sous le nom d’impédance caractéristique du vide) et utiliser le fait que $\eps_0 \mu_0 = 1/c^2$. Nous allons obtenir au total $$\nabla \times (Z_0\fvec{H}) + i \dfrac{\omega} {c} \eps’ \fvec{E} = Z_0\fvec{J}.$$ Dans la deuxième équation, nous allons remplacer $\fvec{B}$ par $\mu_0\fvec{H}=(Z_0/c)\fvec{H}$, ce qui nous donnera $$\nabla \times \fvec{E}-i \dfrac{\omega} {c} Z_0\fvec{H} =0.$$

En effectuant une transformation de Fourier par rapport à $x$ et $y$, le tout devient $$\begin{array} {ll} & ik_y Z_0 \fff{H}_z- \dfrac{\partial } {\partial z} Z_0 \fff{H}_y + i \dfrac{\omega} {c} \eps’ \fff{E}_ x= Z_0\fff{J}_x~~~ &~~~ ik_y \fff{E}_z- \dfrac{\partial } {\partial z} \fff{E}_y - i \dfrac{\omega} {c} Z_0 \fff{H}_x = 0 \\ & \dfrac{\partial } {\partial z} Z_0 \fff{H}_x- ik_x Z_0 \fff{H}_z + i \dfrac{\omega} {c} \eps’ \fff{E}_y = Z_0\fff{J}_y~~~ &~~~ \dfrac{\partial } {\partial z} \fff{E}_x- ik_x \fff{E}_z - i \dfrac{\omega}{c} Z_0 \fff{H}_y = 0 \\ & ik_x Z_0 \fff{H}_y- ik_y Z_0 \fff{H}_x + i \dfrac{\omega} {c} \eps’ \fff{E}_z = Z_0\fff{J}_z~~~ &~~~ ik_x \fff{E}_y- ik_y \fff{E}_x - i \dfrac{\omega} {c} Z_0 \fff{H}_z = 0.\end{array}$$

On constate qu’on peut utiliser les deux équations du bas pour éliminer $\fff{E}_z$ et $Z_0 \fff{H}_z$. Lorsqu’on le fait et qu’on met le resultat sous forme matricielle, on obtient $$\dfrac{\partial}{\partial z} \begin{bmatrix} \fff{E}_x \\ Z_0 \fff{H}_y \\ \fff{E}_y \\ Z_0 \fff{H}_x \end{bmatrix} = i \dfrac{\omega}{c} \begin{bmatrix} 0 & 1-\dfrac{\ka_x^2}{\eps’} & 0 & \dfrac{\ka_x\ka_y}{\eps’} \\ \eps’- \ka_y^2 & 0 & \ka_x\ka_y & 0 \\ 0 & -\dfrac{\ka_x\ka_y}{\eps’} & 0 & \dfrac{\ka_y^2}{\eps’}-1 \\ - \ka_x\ka_y & 0 & \ka_x^2 -\eps’ & 0 \end{bmatrix} \begin{bmatrix} \fff{E}_x \\ Z_0 \fff{H}_y \\ \fff{E}_y \\ Z_0 \fff{H}_x \end{bmatrix} + \begin{bmatrix} \dfrac{\ka_x}{\eps’}Z_0\fff{J}_z \\ -Z_0\fff{J}_x \\ \dfrac{\ka_y}{\eps’}Z_0\fff{J}_z \\ Z_0\fff{J}_y \end{bmatrix} \tag{1}$$ où on a posé $\ka_x=ck_x/\omega$ et $\ka_y=ck_y/\omega$.

Remarque. Dans la suite du chapitre, nous étudierons l'équation différentielle vectorielle (1) en nous limitant au cas où $\vec{J}=0$. Nous utiliserons la notation $\boldsymbol\Phi=[\fff{E}_x~~~Z_0 \fff{H}_y~~~\fff{E}_y~~~Z_0 \fff{H}_x]^T$ et nous écrirons l'équation sous la forme

$\boldsymbol\Phi’(z)=i\dfrac{\omega}{c}\boldsymbol\Delta\boldsymbol\Phi(z)$.

4. Considérations importantes

Continuité des champs

Une première considération importante est la continuité du vecteur $\boldsymbol\Phi$ au interfaces. C’est en fait la base de tout les développements qui vont suivre.

On sait qu’à l’interface entre deux milieux, les compo­santes tangentielles du champ électrique doivent être continues. On sait également qu’en l’absence de courant superficiel, les composantes tangentielles du champ magnétique doivent elles aussi être continues. Dans notre cas, les interfaces sont des plans parallèles au plan $xy$, ce qui veut dire que les composantes tangentielles de $\vec{E}$ et $\vec{H}$ sont $E_x$, $E_y$, $H_x$ et $H_y$.

Soit $z=z_i$ l’équation d’une interface. Sans entrer dans les détails techniques, on s’attend à ce que si $E_x(z_i+0)$ $=E_x(z_i-0)$, on ait aussi $\fff{E}_x(z_i+0)=$ $\fff{E}_x(z_i-0)$ et similairement pour $E_y$, $H_x$ et $H_y$. La conclusion est qu’on aura bien $$\boldsymbol\Phi(z_i+0)=\boldsymbol\Phi(z_i-0).$$

Invariance par rotation

Une autre considération importante est que le problème à l’étude (aussi bien pour les équations que pour le domaine) est invariant par rotation autour de l’axe des $z$. Cela veut dire que si on a deux composantes de Fourier, une avec $(k_x, k_y) = (k\cos\phi_1, k\sin\phi_1)$ et l’autre avec $(k_x, k_y)=$ $(k\cos\phi_2, k\sin\phi_2)$, elles se comporteront de la même manière et que, en fait, on pourra passer de l’une à l’autre par une rotation d’un angle $\phi_2-\phi_1$. Une conséquence importante est qu’on peut se limiter à étudier les composantes de Fourier avec $k_y=0$. Cela simplifie sensiblement la forme de la matrice $\boldsymbol\Delta$ qui, dans ce cas, devient (rappelons que $\ka_x=ck_x/\omega$) $$\boldsymbol\Delta=\begin{bmatrix} 0 & 1-\dfrac{\ka_x^2}{\eps’} & 0 & 0 \\ \eps’ & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & -1 \\ 0 & 0 & \ka_x^2 -\eps’ & 0 \end{bmatrix}.$$

5. Polarisations p (ou TM) et s (ou TE)

On constate que quand $k_y=0$, la matrice $\boldsymbol\Delta$ est diagonale par blocs. Cela entraine que chaque solution de l’équation différentielle peut être décomposée en somme d’une solutions de la forme $$\begin{bmatrix} \fff{E}_x & Z_0 \fff{H}_y & 0 & 0 \end{bmatrix}^T$$ (dite de polarisation p ou $TM$) et d’une solution de la forme $$\begin{bmatrix} 0 & 0 & \fff{E}_y & Z_0 \fff{H}_x \end{bmatrix}^T$$ (dite de polarisation s ou $TE$). Si on garde seulement les composantes non nulles de $\boldsymbol\Phi$, le premier type de solution peut être calculé en résolvant $$\boldsymbol\Phi_p’(z)=i\dfrac{\omega}{c}\boldsymbol\Delta_p\boldsymbol\Phi_p(z)$$ avec

$$\boldsymbol\Phi_p=\begin{bmatrix} \fff{E}_x \\ Z_0 \fff{H}_y \end{bmatrix},~~~\boldsymbol\Delta_p=\begin{bmatrix} 0 & 1-\dfrac{\ka_x^2}{\eps’} \\ \eps’ & 0 \end{bmatrix}$$ et le second en résolvant $$\boldsymbol\Phi_s’(z)=i\dfrac{\omega}{c}\boldsymbol\Delta_s\boldsymbol\Phi_s(z)$$ avec $$\boldsymbol\Phi_s=\begin{bmatrix} \fff{E}_y \\ Z_0 \fff{H}_x \end{bmatrix},~~~\boldsymbol\Delta_s=\begin{bmatrix} 0 & -1 \\ \ka_x^2 -\eps’ & 0 \end{bmatrix}.$$

Si on le désire, les composantes $z$ des champs peuvent ensuite être calculées en utilisant les relations $Z_0 \fff{H}_z = 0$, $\fff{E}_z = -\dfrac{\ka_x}{\eps’}Z_0 \fff{H}_y$ pour la polarisation $p$ ($TM$) et $\fff{E}_z = 0$, $Z_0 \fff{H}_z = \ka_x \fff{E}_y.$ pour la polarisation $s$ ($TE$).

6. Notes et références

Le formalisme à quatre composantes auquel on a abouti à la section 3 a été introduit au début des années 1970 par S. Teitler et B. W. Henvis, suivis de D. W. Berreman, pour étudier les milieux stratifiés anisotropes. Dans ce contexte, l'équation (1) (sans le terme de courant) est connue sous le nom d'équation de Berreman.

La décomposition de la solution en deux polarisations découplées n’est pas liée au fait qu’on a pris le cas particulier $k_y=0$. Dans le cas général, si on définit $\vec{k}_{\xy}=(k_x, k_y)$, $\fffvec{E}_{\xy}=(\fff{E}_x,\fff{E}_y)$ et $\fffvec{H}_{\xy}=(\fff{H}_x,\fff{H}_y)$, on peut toujours décomposer les solutions en une solution avec $\fffvec{E}_{\xy}$ perpendiculaire à $\vec{k}_{\xy}$ (polarisation TE) plus une solution avec $\fffvec{H}_{\xy}$ perpendiculaire à $\vec{k}_{\xy}$ (polarisation TM). (Le T est pour transverse, le E pour électrique et le M pour magnétique.)

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