Nous voulons voir ici sous quelles conditions la lumière peut se propager dans un milieu anisotrope infini.
Les milieux anisotropes sont des milieux cristallins où, à cause de la structure du matériau, la polarisation n'est généralement pas parallèle au champ électrique. Si le milieu est linéaire, on aura alors entre les champ et déplacement électriques une relation où la permittivité diélectrique est un tenseur : $$\begin{array} {lll} \fvec{D} = \boldsymbol{\eps} \fvec{E}, & \boldsymbol{\eps}=\eps_0 \boldsymbol{\eps'}, & \boldsymbol{\eps'} = \begin{bmatrix} \eps'_{xx} & \eps'_{xy} & \eps'_{xz} \\ \eps'_{yx} & \eps'_{yy} & \eps'_{yz} \\ \eps'_{zx} & \eps'_{zy} & \eps'_{zz} \end{bmatrix}. \end{array}$$
Comme la majorité des auteurs qui traitent de l'optique des milieux anisotropes, nous nous limiterons au cas où le tenseur de permittivité diélectrique relative $\boldsymbol{\eps'}$ est réel. On peut alors montrer que ce tenseur doit être symétrique : $$\begin{array} {lll}\eps'_{yx}=\eps'_{xy}, & \eps'_{zx}=\eps'_{xz}, & \eps'_{zy}=\eps'_{yz}. \end{array}$$
Ceci implique qu'il existe un système d'axes où $\boldsymbol{\eps'}$ est diagonal : $$\boldsymbol{\eps'} = \begin{bmatrix} \eps'_1 & 0 & 0 \\ 0 & \eps'_2 & 0 \\ 0 & 0 & \eps'_3 \end{bmatrix}.$$
Voyons maintenant quels types d'ondes planes peuvent se propager dans un milieu anisotrope donné. En partant des équations de Maxwell-Lorentz libres $$\begin{array} {ll} \nabla \times \fvec{H} + i\omega \boldsymbol{\eps} \fvec{E} = 0, & \nabla \times \fvec{E}-i \omega \fvec{B} =0. \end{array}$$ et en effectuant les mêmes démarches qu'à la page précédente, avec les mêmes notations, on est conduit à l'équation $$\boldsymbol{\ka} \times (\boldsymbol{\ka} \times \vec{e}) + \boldsymbol{\eps'} \vec{e} = \boldsymbol{\ka} (\boldsymbol{\ka} \cdot \vec{e}) - \ka^2 \vec{e} + \boldsymbol{\eps'} \vec{e} = 0. \tag{1}$$Dans un système d'axes où $\boldsymbol{\eps'}$ est diagonal, ce système d'équations linéaires homogène prend la forme $$\begin{bmatrix} \eps'_1-\ka_y^2-\ka_z^2 & \ka_x\ka_ y& \ka_x\ka_z \\ \ka_y\ka_x & \eps'_2-\ka_x^2-\ka_z^2 & \ka_y\ka_z \\ \ka_z\ka_x & \ka_z\ka_y & \eps'_3-\ka_x^2-\ka_y^2 \end{bmatrix} \begin{bmatrix} e_x \\ e_y \\ e_z \end{bmatrix} = 0 \tag{2}.$$ Il a une solution si et seulement si le déterminant $$\Delta(\boldsymbol{\ka}) = \begin{vmatrix} \eps'_1-\ka_y^2-\ka_z^2 & \ka_x\ka_ y& \ka_x\ka_z \\ \ka_y\ka_x & \eps'_2-\ka_x^2-\ka_z^2 & \ka_y\ka_z \\ \ka_z\ka_x & \ka_z\ka_y & \eps'_3-\ka_x^2-\ka_y^2 \end{vmatrix}$$ est nul. On peut vérifier qu'on a $$\begin{split} \Delta(\boldsymbol{\ka}) = & \ka^2 (\eps'_1\ka_x^2+\eps'_2\ka_y^2+\eps'_3\ka_z^2) -[\eps'_1\eps'_2(\ka_x^2+\ka_y^2)+ \\ & \eps'_1\eps'_3(\ka_x^2+\ka_z^2)+\eps'_2\eps'_3(\ka_y^2+\ka_z^2)]+\eps'_1\eps'_2\eps'_3 \end{split} $$ ou encore, en posant $\boldsymbol{\ka} = \ka \uvec{u}$, $$\begin{split} \Delta(\boldsymbol{\ka}) = & \ka^4 (\eps'_1u_x^2+\eps'_2u_y^2+\eps'_3u_z^2) - \ka^2 [\eps'_1\eps'_2(u_x^2+u_y^2)+ \\ & \eps'_1\eps'_3(u_x^2+u_z^2)+\eps'_2\eps'_3(u_y^2+u_z^2)]+\eps'_1\eps'_2\eps'_3. \end{split} $$
On peut alors calculer les valeurs possibles de $\ka$ pour chaque direction donnée par le vecteur unitaire $\uvec{u}$, ce qui a permis de dessiner les trois figures à droite¹.
¹ Les paramètres utilisés pour dessiner ces figures ne sont pas des plus réalistes. Ils ont été choisis pour mieux mettre en évidence les caractéristiques des surfaces.
L'équation $\Delta(\boldsymbol{\ka})=0$ est biquadratique en $\ka$, mais étant donné sa symétrie, la surface $\Delta(\boldsymbol{\ka})=0$ est constituée de seulement deux feuillets, comme on peut le constater sur les figures.
Cette surface a une interprétation physique : la dépendance spatio-temporelle des ondes planes de vecteur d'onde réduit $\boldsymbol{\ka} = \ka \uvec{u} = (c/\omega)\vec{k}$ est de la forme $$e^{ i \left( \vec{k} \cdot \vec{x} - \omega t \right)} = e^{ i \frac{\omega}{c}\left( \boldsymbol{\ka} \cdot \vec{x} - c t \right)} = e^{ i \frac{\omega}{c}\left( \ka \uvec{u} \cdot \vec{x} - c t \right)}.$$ Cela signifie que $\ka$ est un indice de réfraction effectif² pour l'onde plane qui se propage dans la direction $\uvec{u}$.
En général, il y a deux vitesses de propagation possibles pour chaque direction $\uvec{u}$. Cependant, pour les directions qui correspondent aux points où les deux feuillets se touchent, ces deux vitesses de propagation sont les mêmes. Ces directions, comme on le verra, sont également privilégiées au niveau de la polarisation. Étant donné leurs propriétés particulières, on leur donne le nom d'axes optiques.
En termes de type de matériau anisotrope, on constate
les faits suivants :
On comprend maintenant pourquoi ces deux types de milieu sont appelés respectivement « uniaxe » et « biaxe ».
² Pour cette raison, certains auteurs donnent à la surface $\Delta(\boldsymbol{\ka})=0$ le nom de « surface des indices » (à ne pas confondre avec l'ellipsoïde des indices, dont on parlera à la prochaine page).
Nous continuerons notre étude des milieux anisotropes à la page suivante.